Big Up Girls (Interview)

Comment as-tu eu l’idée de ce “fanzine musical & féministe” ?
Mélanie : Salut et merci pour votre intérêt ! Alors, l’idée a émergé début 2016 à un concert d’adieu d’un groupe angevin. Deux jours de concerts, une dizaine de groupes, la fête tout ça. A un moment de la soirée, j’ai eu comme une sorte de prise de recul sur l’instant que j’étais en train de vivre et je me suis fait la remarque qu’il n’y avait aucune fille présente sur scène à cette soirée. En regardant autour de moi ensuite, j’ai aperçu à l’inverse un paquet de meufs, que je connaissais pour la plupart car elles étaient (presque toutes) investies dans la scène : organisation de concerts, photographie, fanzinat etc. Elles étaient donc là mais pas forcément « visible ». L’idée m’est donc venue de créer un outil permettant en même temps de mettre en avant l’investissement de ces filles là mais aussi de se poser des questions, d’échanger autour de ce sujet. Je voyais une sorte de dualité hyper violente entre les dire d’une scène, les messages qu’elle prône et ses logiques d’organisation et de communication.

Tu laisses carte blanche aux invitées, tant dans la rédaction de leur texte que dans la mise en page de leur contribution. Tu n’interviens pas. Pourquoi ce choix ? 
Je voulais que ce zine puisse mettre en avant qui elles sont, ce qu’elles ont envie de défendre, comment elles vivent leur implication dans la scène mais en les influençant le moins possible. Pour cela, je leur propose de m’envoyer leur portrait sur un format A4 (ou deux A5). Au minimum, elles doivent nommer le.s groupe.s ou organisation.s dans lesquelles elles s’impliquent et mettre un visuel de leur choix. Elles parlent de ce qu’elles veulent et font elle-même la mise en page pour que ça leur ressemble le plus possible. Chacun a sa pâte et le visuel peut pour moi être vraiment complémentaire au message. J’accompagne si besoin pour celles qui bloque, autant sur le contenu que sur la forme, mais que si elles me le demandent. Les portraits sont donc très variés et c’est ce qui fait le charme de la chose je pense. On va des implications complètement différentes, des niveaux d’engagements et des ressentis hyper variés. Il n’y a pas UN message mais une multitude car chacune vit son implication dans la scène d’un point de vue différent.

Quels sont les points de vue ou les avis publiés qui t’ont le plus touchées ? Et pourquoi ?
C’est difficile à dire. En effet, les réceptions des portraits sont toujours pour moi des moments assez émouvants. Tout simplement parce que parler de soi n’est pas facile, remplir une page A4 sans « cadre à remplir » encore moins. Chacune y met beaucoup du sien et c’est vraiment touchant, peu importe le portrait. Je dirais que ceux qui m’ont le plus touchés sont ceux qui m’ont le plus parlé tout simplement. Parce qu’ils faisaient écho à des choses que j’avais vu/vécu dans cette scène. Parce qu’ils traitaient d’une certaine forme de violence discrète, insoupçonnable pour ceux qui la crée : l’exclusion, la catégorisation, le mépris de genre.

Au bout de 5 numéros et des dizaines de portraits publiés, penses-tu avoir atteint les objectifs de ton édito de février 2016 (en ligne ici) ?
Ouhla bonne question. Alors, évaluation mi-parcours n°1. Objectif n° 1 : Mettre en avant la « force féminine »des scènes punk-rock/hardcore/metal… Intéressant comme manière de dire. Je ne sais pas si je leur redirais encore de cette manière là maintenant. Ce qui est sûr, c’est que le zine a permis de découvrir, pour moi comme pour les lecteur.rices, pas mal de groupes, notamment par la diversité des « styles » proposés. Objectif n°2 : Montrer qu’une place… Difficile à dire. À l’époque, je vivais souvent ce problème de légitimité dans l’organisation de concert, les questions techniques mais aussi musicales. Sur ça, de nombreuses discussions et débats sont partis des dires de certains portraits et ont été vraiment intéressant. Je pense que ce problème lié à la légitimité d’être, d’exister et de proposer techniquement et artistiquement n’était pas visible pour certains mecs de la scène qui ne s’était jamais posé la question et qui pourtant y participait activement. Objectif 3 : Motiver celles qui en sont résignées ou qui n’osent pas encore. Ça ce sont les retours qui me plaisent le plus, quand certaines viennent me voir en me disant que le zine leur a permis de passer le « pas »!

Est-ce ton fanzine a débouché sur des débats, des rencontres autre que sur papier ? Est-ce quelque chose que tu aimerais développer ?
Oui, c’était l’idée de la chose. Que le zine soit un outil de discussion, de débats et de rencontres. À chaque sortie de fanzine, nous avons organisé un événement dans une ville différente : Tours, Rennes, Toulouse, Nevers … Le format était souvent celui-là : 2-3 groupes comportant au moins une fille dans le groupe, une discussion/débat sur une thématique précise, un espace d’expression libre inséré dans le numéro suivant, une expo de photographes féminines. Certaines ont même organisé des soirées « Big up Girls » de leur propre chef sur des formats similaires hors sortie de zine. Trop bien. En complément de ça, on a créé un espace de discussion non mixte sur les réseaux sociaux qui nous permet d’échanger entre nous des infos, de parler de situations vécues avec d’autres, trouver des solutions ou tout simplement en parler librement.

Big Up The Girls semble recueillir un très bon accueil. Qu’est-ce qu’on te dit en général du zine ? Et qui t’en parle le plus, les filles ou les mecs ?
Je te dirais bien que ce sont les mecs qui m’en parlent plus. Mais étant donné qu’ils sont en majorité dans la scène, je ne sais pas si ça dit vraiment quelque chose ! Ce qui est sûr c’est  que beaucoup m’ont dit et me disent qu’ils n’avaient pas conscience de tout ça, des petits gestes et paroles qui paraissent anodines sur le coup et qui sont en fait hyper violentes. Certaines me font part de leur désarroi face à certaines portraits ou au contraire me disent que certains les a aidé à se rendre compte elle-même de ce qu’elles vivaient parfois. On me dit souvent que ce qui plaît, c’est la diversité. Le fait que les points de vue sont bien différents d’un portrait à un autre, ce qui fait que chacun.e s’y retrouve peu importe là où ielle en est dans ses réflexions sur ces questions.

Récemment, aux Etats-Unis, est apparu le slogan “Female Fronted Is not a style”. Dans le metal, un #Killtheking — présenté comme un #metoo heavy metal — a fait son apparition. Penses-tu que la prise de conscience général engendré par le mouvement #Me Too va essaimé dans les scènes musicales alternatives ? Si oui, as-tu des exemples ?
Pour répondre à cette question, j’ai demandé leur avis aux autres meufs et vais tenter de vous faire une réponse groupée.

Ce qui en ressort, c’est que le mouvement Metoo a permis une médiatisation des faits de violences et qu’il a permis à certaines de rendre public ce qu’elles vivaient parfois quotidiennement. Que ces faits de violence sont présents aussi dans la scène depuis longtemps mais que Metoo a permis qu’ils soient plus entendus. Mais en en parlant entre nous, on s’est rendu compte que nos exemples dans nos scènes musicales concernaient sur l’étranger mais pas vraiment la scène française. Qu’il résidait dans la scène française un problème lié au fait que des groupes n’entendent pas les faits de violence qui sont l’œuvre de certains membres de peur que ça « entache » la réputation de leur groupe. Il y a aussi cet aspect « famille » si cher à certain.es dans cette scène mais qui font qu’on a du mal à se dire que son « bro » peut avoir commis de tels actes. Ce qui fait que certaines violences se perpétuent encore et qu’on est loin de se sentir en sécurité.

La scène punk est considéré comme un lieu ouvert, non discriminatoire et offrant une alternative à la société “normale”. Pourtant elle n’est pas à l’abri d’abus et de comportements très beaufs de la part des hommes. Tu chantes dans le groupe hardcore Jarod, tu es donc idéalement placé pour observer et prendre le pouls de ce “monde parallèle” sur le sujet. Ça t’arrive d’être démoralisée par ce que tu vois / entends ?
Je suis démoralisé par la non-mixité quasi permanente. Démoralisée par le fait d’être « agréablement surprise » quand je ne suis pas la seule meuf sur scène à certains concerts, quand on nous décrit comme le groupe de « screamo avec une meuf qui chante », quand je dois préciser que je fais bien parti du groupe pour avoir une boisson, accéder à la scène alors que les gars ne sont jamais soumis à ces questionnements, quand je dois insister pour dire que je n’ai pas besoin d’aide pour porter du matos ou faire le son (alors que là aussi l’aide n’est pas proposée aux gars). Et encore, fini l’époque où on me demandait quel membre du groupe je me « tapais » en tournée. Je pourrais continuer longtemps mais je préfère vous dire d’aller jouer au Bingo dans le numéro 5 (ou sur le Tumblr) qui recense les plus fréquentes, c’est plus drôle.

Bientôt un nouveau numéro ?
Des portraits sont déjà faits mais pas de nouveaux numéros de prévus. Je pense les mettre en ligne et j’espère retrouver du temps pour un sortir un nouveau ! En attendant, ya Girls on Fire qui fait des vidéos/interviews hyper chouettes, allez voir !

http://bigupgirls.tumblr.com/

Interview : Frank Frejnik
Une partie de cette interview est publiée dans PR0218