The Irradiates (interview)

The Irradiates interview Punk Rawk 2018

Le groupe porte un nom de titre de film de série Z des années 50. Le surf est-il forcément associé à ce genre cinématographique ?
Buen (batterie) : Rien n’est forcé. Rien n’est obligé. Chacun doit créer son propre univers, et y mettre de soi-même en fonction de ses goûts et de sa sensibilité. Le cinéma est juste important pour nous, comme ça l’a été pour les Ghastly Ones, Man or Astro-man? ou comme ça l’est pour Messer Chups par exemple. On regarde beaucoup de films – pas que des séries B ou Z – je chronique des films depuis une dizaine d’années dans mon fanzine Slime, d’ailleurs certains d’entre eux ont été samplé pour des albums des Irradiates et je suis co-programmateur du Sinister Ciné Club à Besançon depuis plus de trois ans où on passe principalement des films de genre. Evidemment, le cinéma fantastique, horrifique et la Sci-Fi 50’s/60s tient une place importante dans l’imaginaire du rock, surtout dans les scènes garage punk (à la Cramps/Fuzztones), surf, pyschobilly, metal ou horror punk mais ce n’est pas systématique. Ce sont deux choses compatibles, seulement, rien de pire que d’utiliser ces références sans avoir un respect pour ses films, et un vrai dévouement au 7ème art, j’entends par là une cinéphilie honnête. Sinon, tu restes en surface et passe à côté de l’essentiel : tu gardes les clichés et dénigres le contexte. Un peu comme porter une montre straight edge alors que le mois dernier tu vomissais sur tes potes… Pour moi, ça forme un tout : le fanzinat, le cinéma, la littérature, la musique mais pour d’autre ce sera juste la musique, ou l’addition avec le dessin, la BD, l’art brut ou la politique et ce n’est pas un problème en soit tant qu’on ne se cache pas derrière quelque chose qui ne nous anime pas vraiment mais que l’on affiche pour faire partie d’une famille de fortune. La maison construite restera en paille…

À quel film aimerais-tu associer votre groupe ?
Buen : En un seul film, impossible. En premier lieu, j’associe notre musique au cinéma de Roger Corman, Edward L. Cahn, W.Lee Wilder ou ce bon vieux Ted V. Mikels – personnage haut en couleur comme bon nombre de ses acolytes de l’époque – et également à plein d’autres de cette même école composée d’artisans qui travaillaient avec tripes et ingéniosité malgré les budgets rachitiques dans le bis américain ou sur des films d’exploitation. Cependant, quelque uns de nos morceaux pourraient se rapprocher des ambiances ou des formes de certaines séquences de David Lynch, F.J. Ossang ou Rob Zombie qui a produit les Bomboras. Il y a une possibilité énorme avec la surf music si tu dérives un peu des schémas typiques du rock’n’roll pur et dur, que tu laisses le maître Link Wray tranquille et que tu y incorpores des éléments extérieurs bien dosés. Dans beaucoup de musique majoritairement instrumentale, il y a un climat, un mood cinématographique plus palpable et la surf en fait partie comme le jazz l’a été pour le polar ou le film noir. Ecoute l’album d’Antena Tres avec notre cher Arno De Cea et tu seras tout de suite plongé dans un film d’espionnage à la manière du Stereophonic Space Sound Unlimited. Les Tremolo Beer Gut pourraient également bien se caler sur un Sergio Corbucci. Après, de là à ce que la surf music au sens XXL du terme fasse de l’ombre à un Lalo Schifrin, Ennio Morricone ou Fabio Frizzi, il y a de la marge…

Faut-il avoir une dégaine particulière pour pratiquer le surf ?
Buen : J’ai toujours rêvé de répondre à une question par une autre, me permets-tu ? Faut-il avoir un patch Doom cousu sur une veste cloutée pour jouer dans un groupe crust ? Faut-il être gominé pour jouer du rockabilly ? Faut-il porter un Fred Perry pour faire de la oi! ? Faut-il avoir des dreadlocks pour faire du reggae ? Faut-il chausser des Beatles boots pour jouer du 60’s beat ? Faut-il avoir une moustache et des tattoos à l’encre de chine pour faire un groupe de garage psyché ? Faut- il avoir les manches de son t-shirt Cro-Mags coupées pour jouer du crossover ? Faut-il porter un patch The Jam si tu es fan de Paul Weller ? Une chemise à carreaux si tu joues de l’emo ? Faut-il avoir un équipement de rando Quetchua complet si tu fais de la musique expérimentale ? Faut-il porter des lunettes noires si tu es fan du Velvet ? Avoir les cheveux rouges et un perf si tu es fan de NoFX ? S’habiller en noir si tu fais du death rock ? Aller en salle de sport si tu es new yorkais et que tu joues dans un groupe NYHC ? Mettre du eyeliner si tu joues du glam rock ? Pas forcément, mais c’est possible de porter des costumes unis quand tu joues dans un groupe de surf music…

Le surf est-il forcément lié à une époque particulière ? À une région particulière ? À une culture particulière ? À un mode de vie particulier ? À une génération particulière ?
Buen : Il y a une culture de départ liée aux divertissements des jeunes américains blancs de la classe moyenne basés en Californie et sur la côte ouest en général – même si d’autre groupes comme les Trashmen venaient de Minneapolis : le surf en tant que sport bien sûr mais aussi la culture hot rod, dragster, l’imagerie et l’imaginaire polynésien et le cinéma de plein air avec ses beach/monsters/bikers/cars movies. Les sorties entre ami.e.s sur la plage, la drague et les cuites au coin du feu mais aussi la fascination pour la conquête de l’espace et les nouvelles technologies baignée d’esthétique rétro-futuriste. Tu peux te faire une idée en observant les noms de ces groupes qui pour la plupart sortaient une poignée de 45t et disparaissaient aussi sec, témoignage de la fugacité du style comme The Ilusions, the New Dimensions, The Gamma Rays, The Space Walkers, The Galaxies, The Creations, the Futuras ou The X-Terminators !

A côté de cette insouciance liée à l’époque (l’âge d’or de la surf music est comprise entre 1961 et 1965 – la british invasion signant son arrêt de mort), tu as un climat de paranoïa généralisé, la peur d’une invasion communiste, d’une attaque atomique, suivi de l’assassinat de Kennedy, la lutte pour les droits civiques et la guerre du Vietnam qui marque un terme au rêve WASP de béatitude absolue dans un des plus bel endroit du monde. Plus moyen de parler de bikini et de courses de bagnoles ! Les sourires niais se transforment en larmes de sang. A voir sur cette période, Matinee de Joe Dante, un must ! Donc oui, la surf music est liée à toute cette histoire maintenant caduque mais qui continue d’inspirer encore beaucoup de groupes. C’est un fantasme et comme tout fantasme, on le manipule, on le transforme à notre guise mais on ne le vit jamais vraiment. Un genre musical est lié directement ou indirectement à un contexte social et politique.

C’est le postulat de départ pour ce style mais maintenant, un groupe surf espagnol (à part s’il situé en Cantabrie), ou grec ou serbe est à de années lumières de tout ça dans son quotidien. Quand tu joues en Grèce, c’est souvent dans des squats et le public ne nous parle de dragsters mais de leur porte-monnaie qui est vide. Attention, je ne tombe pas dans la street credibility facile, ou le misérabilisme putassier mais c’est la réalité. La niaiserie du début des 60’s est belle et bien finie, d’ailleurs a-t-elle réellement existée ? Un groupe, c’est un mélange du quotidien et des influences musicales et globales de ses membres. Le plus dur quand tu joues un style qui a une histoire, un passif, des références culturelles liées à son évolution et à son environnement de «naissance» c’est de préserver ses codes – ce qui est pour moi obligatoire sinon ce n’est plus un style mais un amas de noms/mots collés ensemble qui ennuieront aussi bien le graphiste que les gens qui lisent l’affiche – tout en y apportant sa propre personnalité, son background, de l’instinct et un trait de son époque sans pour autant le dénaturer. C’est ça le plus difficile. Le savant dosage qui te permet de participer à ta petite échelle à l’évolution d’un genre.

Recopier à l’identique, ce n’est pas du purisme c’est nager à la surface sans se douter que sous toi, des milliers d’espèces cohabitent. Vouloir tout détruire et faire un truc totalement neuf et inédit, c’est non seulement du pur mensonge, de la grande prétention et une méconnaissance de la musique populaire. Dick Den’s (guitariste de The Irradiates — ndr) ne se gêne pas pour envoyer quelques gimmicks de Django à la guitare, Arno (guitariste —ndr) n’a jamais caché son jeu noisy et quand Macst (bassiste et chant — ndr) chante, on sent qu’il a écouté The Get Up Kids

Le fait que le surf est instrumental permet-il l’ouverture des frontières entre les différents publics (punk, métal, rock, country, folk…) ?
Buen : Totalement, et on l’a vérifié. C’est comme le cinéma. A l’époque du muet il était universel, puis c’est « nationalisé » à l’arrivé du parlant. L’histoire de la musique contemporaine est faite d’internationalisme contrairement aux musiques folkloriques qui restent encrées dans les traditions, la particularité locale même si elles se sont exportées et ont muté avec le déplacement des populations. Qui a un disque de musique tchèque et morave chez soi ? Par contre, et c’est là où ça devient intéressant, certains groupes surf réutilisent ces bases traditionnelles en les associant au rock instrumental afin de donner une couleur typique à leur son. Les Los Twang Marvels, que j’aimais beaucoup, le faisaient très bien et tu as la même approche partout ailleurs (Finlande, Japon, Russie…) Encore une fois, ça prouve que cette musique n’est pas figée et qu’elle peut être inventive…

Tu cites la country et je me permets de faire une parenthèse à ce sujet car le public pour cette musique est inexistant en Europe et plus particulièrement en France et je ne parle de ceux qui écoutent Johnny Cash ou Hank Williams. Si on regarde les festivals « tout public » estampillés country, c’est catastrophique. Mettre un chapeau est danser le line ou le square dance et puis se mettre aux claquettes l’année d’après. Je suis allé une fois dans un dance hall à Austin qui s’appelait le Broken Spoke et je t’avoue que les gens qui dansaient pour un concours prenaient ça très au sérieux avec notation et discipline d’acier. Le groupe qui jouait était excellent, reprise de Santo et Johnny, amplis Fender à coin, et jeu de steel guitar monstrueux. Rien à voir avec la fête à la merguez que l’on peut trouver chez nous. Là-bas, la country sous toutes ses formes imprègne la culture musicale de Jimmie Rodgers à Taylor Swift même si maintenant Nashville n’est qu’une usine à tubes pop dégueulasses et insipides.

Au final, cette musique concerne quelques gens pointus partout dans le monde hors Etats-Unis bien sûr, les mêmes qui s’intéressent aux musiques roots américaines et qui auront chez eux des disques de Bob Wills, Ernest Tubb, George Jones ou Leadbelly et JB Lenoir. Bref, comme dans la question, tu ne fais pas référence aux frontières nationales mais musicales, je peux affirmer que nous avons la chance d’être un groupe transgenre ! On assume complètement de ne pas se fermer dans une micro sphère qui étouffe. On a tous des passifs différents (métal, noise, punk rock, rockabilly, hardcore), on a tous joué avec d’autres musiciens, dans d’autres groupes et on partage régulièrement la scène avec des formations différentes de la nôtre. Une des dernière date était avec An Albatross à Genève, c’est pour dire… et la soirée était top !

The Irradiates interview Punk Rawk 2018

En pratiquant ce style particulier, êtes-vous cantonnés à jouer dans des évènements identifiés garage, 60’s, revival, etc., ou il vous arrive de jouer sur tous types de festival rock ?
Buen : Ça fait longtemps qu’une large partie du public 60’s (d’ailleurs existe-il encore ? En Allemagne peut être…) et que les organisateurs de ce type de festivals se sont désintéressés du groupe, hormis le Cosmic Trip, qui reste ouvert aux mutations du genre. Et là, je ne parle même pas du public strictement surf qui pour certains pensaient à l’époque qu’Hawaii Samurai n’était pas un groupe surf car trop punk. Et bien sûr nous étions trop surf pour les punks ! Enfin, tout ça à bien changé, ces dernières années. Souvent ces gens ultra-pointilleux venaient de découvrir le style et voulaient être plus papistes que le pape alors qu’ils sortaient tout juste de leur période Papa Roach !

La maturité rectifie souvent ce trait de faiblesse propre au radicalisme et à la maniaquerie de quelques jeunes. Ils ne percutaient pas le parcours logique des musiciens au sein du groupe et pourquoi et comment on en était arrivé là. Il ne faut jamais brûler les étapes ! Maintenant, les gens dans les concerts recherchent plus les sensations et se posent moins de questions sur ce qu’ils ont le droit d’écouter de peur qu’une instance suprême gardienne du temple du bon goût leur disent si c’est de la merde ou s’ils peuvent y aller au risque d’être banni de cette petite clique d’initiés rabats joie. Pour le coup, internet à fait du bien. Celles et ceux qui s’intéressent au style sont encore plus pointu.e.s et peuvent faire le lien entre Les Revels, Belairs, Atlantics et les Dead Kennedys même si c’était déjà le cas à l’époque. Il n’y a plus une minorité qui détient les clefs du royaume ! Enfin, toutes ces chamailleries sont de l’histoire ancienne pour nous. Quand tu joues des morceaux chantés comme nous ou des reprises d’Agent Orange, des Fun Things ou même d’Unsane et que tu as des titres lents, quasi post-rock, ton public opère par lui-même une sélection naturelle. Il se segmente et trouve aussi de nouveaux adeptes. C’est là que ça devient intéressant. Quand les gens ne se déplacent plus seulement pour voir un groupe de surf, ou de punk ou de rockabilly, ou de stoner mais un groupe en particulier. Tu te dis, cool, on a réussi à créer une identité !

Pour les puristes, les plus tatillons, la surf est 100% instrumentale. Cette vision découle de certains penseurs du genre qui ont fait un énorme boulot d’archivage mais qui ont aussi limité le style a une période et une charte bien précise. Je pense à des gens comme Phil Dirt, Robert J Dalley ou Jon Blair que je respecte énormément, Jon and The Nightriders étant mon groupe surf préféré. Seulement, des suiveurs ont pris tout ça au pied de la lettre, sans même parfois connaître ces noms et n’ont jamais voulu déroger à la règle ce qui a donné une ribambelle de groupes traditionnels, chiants qui reprenaient « Pipeline » en chemise Hawaïenne alors que des groupes emblématiques du genre comme Les Tornadoes ou les Trashmen avaient des morceaux vocaux, quasiment la moitié du répertoire pour ces derniers. Heureusement, les années 90 ont fait du bien avec l’arrivée de groupe comme Man or Astro-Man?, Huevos Rancheros, Mono Men ou Space Cossacks. Depuis de longues années, nous jouons absolument partout. Aussi bien chez Lorenzo au Surfer Joe Diner qu’au Zoro Fest à Leipzig, à l’Underworld à Londres avec Mad Sin, à Lyon au Ninkasi avec une affiche exclusivement surf, à Istanbul avec un groupe grunge turque ou dans un festival Metal près de chez nous avec Dagoba ! Au final, nous sommes juste un groupe de rock !

Considères-tu le surf comme une musique vintage pour nostalgiques ?
Arno (guitare) : Ce n’est pas du tout le cas et cela s’est clairement manifesté avec l’avènement de la « seconde vague » Surf dès le début des années 80 avec des groupes comme Jon & the Nightriders, The Insect Surfers, The Mermen ou Shadowy Men On A Shadowy Planet qui ont dépoussiéré le genre et lui ont donné un second souffle. La scène Surf est depuis devenu un style avec des groupes qui font preuve d’une approche très diverse et parfois même très aventureuse, très loin des clichés et des préjugés qu’ont les gens par rapport à cette musique très méconnue et dénigrée. Il y a bien évidemment une partie des groupes évoluant dans cette sphère musicale qui préfèrent rester dans une certaine tradition. Mais, même si c’est appréciable car il est important de connaitre les racines d’un genre et il est bon de les rappeler de temps en temps, ne serait-ce pas là la manifestation d’une vision complètement fantasmée qui manque d’authenticité ?

L’actualité du groupe ? Un prochain album ? Où, quand, comment ?
Macst (basse) : Nous avons sorti un LP gatefold en février 2018 dernier qui s’appelle Lost Transmissions From The Remote Outpost sur Productions de L’Impossible et qui contient des enregistrements pour la plupart inédits dont deux morceaux « live », mis de coté depuis la genèse du groupe. Nous avons fait un véritable travail d’archivistes sur ce disque et la pochette contient des notes explicatives concernant les sessions de studios et les concerts relatifs à ces titres. Sinon on prépare en collaboration avec Metro Beach, le label de notre ami Gwardeath de Bordeaux, un ensemble de cassettes qui retrace la discographie de The Irradiates avec normalement quelques bonus. Nous célébrons cette année les dix ans du groupe et ces sorties sont l’occasion de symboliser en quelque sorte cette première décennie. Nous avons également en préparation deux 7 pouces : le premier sur Metro Beach avec deux morceaux que nous allons enregistrer très prochainement et le second qui paraitra sur Productions Impossible Records qui ont sorti tout nos albums et que nous partagerons avec un groupe Surf de Boston qui se nomme Beware The Danger Of A Ghost Scorpion.

Interview : Patrick Foulhoux
Une partie de cette interview est publiée dans PR0218

 

http://www.theirradiates.org/
http://theirradiates.bandcamp.com/